La Légende de la ville d’Is
Conflit fantastique entre paganisme et chrétienté.


La fuite du Roi Gradlon rejetant à la mer sa fille Dahut, source de ses malheurs.

Peinture de LUMINAIS Evariste-Vital - Nantes, 1822 - Paris, 1896 - peintre nantais, il est l'élève de Léon Cogniet et de Troyon. Dès ses premiers salons, il expose des scènes de genre et des sujets puisés dans la vie des pêcheurs et dans l'histoire de l'Ouest. Après 1848, il devient le "peintre des Gaules".

Au Vème Siècle de notre ère, le bon Roi Gradlon règne en maître sur la Cornouaille. Par amour pour son unique fille Dahut, il fait construire une cité merveilleuse, la plus grande et la plus belle cité du monde qui bravera les flots de l’actuelle baie du Douarnenez. Mais la colère divine s’abattra sur Is annonçant la disparition des anciens cultes et le triomphe de l’ère chrétienne...

Quelle merveilleuse légende que celle d’un roi chrétien qui construira la plus belle et la plus opulente ville du monde avec l’aide des Korrigans, personnages folkloriques appartenant à la plus pure tradition celtique.

Une fois de plus, symbolique d’un combat inégal entre le christianisme triomphant et le druidisme celtique, la mystérieuse cité d’Is n’a pas encore livré tous ses secrets...

Malgven, Reine du Nord

Le Roi Gradlon régnait sur la Cornouaille. Il possédait une puissante flotte qu'il aimait opposer aux navires de ses ennemis. Excellent marin et stratège, il l'emportait souvent. Le pillage des navires ennemis remplissait ses coffres d'or et son palais de trophés. Un jour, une de ces campagnes le mena dans de lointains pays où il faisait très froid. L'hiver eut raison d'un grand nombre de ses marins. Lassés de se battre dans ces pays froids, ils se mutinèrent lors de l'assaut d'un château-fort. Ils abandonnèrent là Gradlon, regagnèrent leurs navires et mirent le cap vers la Bretagne, pour y retrouver femmes et enfants et y vivre au calme. Après l'exaltation des combats et des victoires, le Roi Gradlon se retrouva seul dans la nuit froide. Vaincu par ses propres hommes, il connaissait maintenant une profonde tristesse.

Il erra longuement dans la steppe désolée jusqu'à ce qu'il aperçu une femme aux longs cheveux roux, blanche comme le clair de lune et vêtue d'une cuirasse ruisselant de la lumière de l'astre.

C'était Malgven, la Reine du Nord, souveraine boréale régnant sans partage sur ces pays glacés. Elle dit au Roi Gradlon : "Ta renomée est venu jusqu'à moi. Je connais ton courage et ton adresse au combat. Mon vieux mari est, lui, incapable de tels exploits. Nous allons le tuer puis, tu m'emmèneras dans ton royaume de Cornouaille."

Ils tuèrent le vieux Roi du Nord, remplirent un coffre d'or et, enfourchèrent Morvarc'h ("cheval de mer" en Breton), le cheval magique de Malgven. Noir comme la nuit, il soufflait le feu par ses naseaux. Le cheval galopa sur la crête des vagues et regagnèrent la Cornouaille tandis qu'une violente tempête dispersait la flotte rebelle.


La naissance de Dahut

Malgven donna naissance à une fille qu'ils appelèrent Dahut. Hélas, la Reine mourut des suites de l'accouchement. Le Roi était si triste qu'il ne sortait plus de son château. Dahut grandit, devint très belle, comme sa mère Malgven. Le Roi Gradlon aimait jouer avec les boucles de ses longs cheveux blonds. Dahut aimait beaucoup la mer. Un jour elle demanda à son père qu'il lui construise une ville, une ville au bord de la mer. Is la majestueuse était la plus puissante et la plus belle au monde. On y trouvait des multitudes de marchands, des rues grandioses, des palais, et d'immenses cathédrales. Is avait même dominé la mer grâce à d'imposantes digues. On y menait une vie de débauche, mais le Roi restait le seul homme vertueux, ignorant tout cela. Dahut (aussi appelée Ahès), sa fille, était la plus belle femme du pays, était la plus débauchée de ses sujets : elle faisait orgie sur orgie, et assassinait ses nombreux amants...

Une nuit, le Roi fut réveillé par Saint-Gwenolé, qui lui dit de fuir la ville. Interloqué, le roi l'interrogea : Is est parfaitement défendue, et aucun danger ne peut la menacer. Saint-Gwenolé lui demanda s'il a encore autour de son cou la clef ouvrant les digues. Saint-Gwenolé lui révèla que sa fille a décidé de noyer la ville pour prendre le pouvoir épouser celui qu'elle aime.

Gradlon, accompagné de Saint-Gwenolé fuit la ville alors que la mer déferle sur l'orgueilleuse cité. Sur le point d'échapper aux flot déchainés, il vit sa fille et vint à son secours. Mais Saint-Gwenolé l'averti que Dieu, excédé par tant de débauche, a décidé d'en finir avec les habitants de Ker-Is, et que Gradlon n'aura la vie sauve qu'en sacrifiant sa fille. Gradlon rejetta sa fille à la mer, et échappa à la mer déferlante.

La ville construite contre la mer

Gradlon adorait sa fille et accepta. Plusieurs milliers d'ouvriers furent mis au travail et construisirent une ville qui semblait sortir de la mer. Pour la défendre des hautes vagues et des tempêtes, il fut construit de très hautes digues encerclant la ville, avec une unique porte de bronze qui y donnait accès. Le Roi Gradlon seul en possédait la clé. On appela la ville : Is.

Les fiançailles de Dahut avec l'Océan

Les pêcheurs, chaque soir, voyaient sur la plage une femme, peignant ses longs cheveux blonds. C'était la Princesse Dahut qui chantait :

"Océan, bel Océan bleu, roule moi sur le sable, je suis ta fiancée,
Océan, bel Océan bleu.
Je suis née sur la mer, dans les vagues et l'écume,
Quand j'étais enfant je jouais avec toi.
Océan, bel Océan bleu, roule moi sur le sable, je suis ta fiancée,
Océan, bel Océan bleu.
Océan, toi qui retourne bateaux et hommes,
Donne moi les navires naufragés et leurs richesses, or et trésors.
Fais venir dans ma ville de beaux marins que je pourrai regarder.
Ne sois pas jaloux, je te les rendrai l'un après l'autre.
Océan, bel Océan bleu, roule moi sur le sable, je suis ta fiancée,
Océan, bel Océan bleu."

La ville d'Is devint alors un endroit ou l'on s'amusait, la ville s'emplit de marins. Chaque jour voyait de nouveaux festins, des jeux, des danses.

Le masque magique

Chaque soir, la princesse Dahut prenait un nouveau jeune homme. Le soir, elle lui mettait un masque noir sur le visage, il restait avec elle jusqu'au matin. Dès que le chant de l'alouette se faisait entendre, le masque se resserrait sur la gorge de son fiancé de la nuit et l'étouffait. Un cavalier prenait alors le corps sur son cheval pour aller le jeter dans l'Océan, au delà de la baie de Trépassés. Ainsi, tous les fiancés de Dahut mouraient au matin et étaient jetés à la mer.

Un jour de printemps, un chevalier étrange arriva dans la ville d'Is. Il était habillé de rouge, ses mains étaient longues et fines, ses ongles pointus et recourbés. Dahut lui sourit, le chevalier ne la regarda pas. Un soir cependant, il accepta de venir auprès d'elle. Il passa longuement ses longues mains aux ongles pointus dans les beaux cheveux blonds de la princesse. Soudain, un grand bruit s'éleva du coté de la mer et un terrible coup de vent heurta les murailles de la ville d'Is. "Que la tempête rugisse, les portes de la ville sont solides et c'est le Roi Gradlon, mon père, qui en possède l'unique clef, attachée à son cou", dit Dahut. "Ton père le Roi dort, tu peux maintenant t'emparer facilement de cette clef", répliqua le chevalier.

La submersion de la ville

La princesse Dahut entra dans la chambre de son père, s'approcha doucement de lui et prit la clef, attachée à une chaîne autour de son cou. Aussitôt, l'étranger reprit sa véritable apparence, celle du diable, et ouvrit les portes de la digue. Une énorme vague, plus haute qu'une montagne, s'écroula sur Dahut. Son père se réveilla et elle lui dit : "Père, vite, prenons le cheval Morvarc'h, la mer a renversé les digues". Le Roi prit sa fille sur le cheval, la mer était déchaînée. Le cheval se cabrait sur l'eau qui montait à gros bouillons. Dahut se serrait contre son père et lui dit : "Sauvez-moi, mon père !" Il y eut alors un grand éclair dans la tempête et on entendit une voix qui allait de rocher en rocher et disait "Gradlon, lâche la Princesse" !

Saint Gwenole, le missionnaire de Dieu
 

Une forme pâle comme un cadavre apparut, enveloppée dans un grand vêtement brun. C'était Saint-Gwenolé, qui dit à la Princesse : "Malheur à toi, tu as voulu voler la clef de la ville d'Is !" Dahut répondait : "Sauvez-moi, emportez-moi au bout du monde !" Mais le cheval Morvarc'h ne bougeait plus et les eaux en furie gagnaient sur eux. Saint-Gwenolé répéta son ordre à Gradlon "Lâche la Princesse !", les vagues énormes étaient à leurs pieds. Dahut glissa à terre et le Roi Gradlon, furieux, poussa sa fille dans la mer. Les vagues se refermèrent sur la Princesse. La mer engloutit alors la ville d'Is, dont tous les habitants périrent noyés. A l'emplacement d'Is se trouve désormais la baie de Douarnenez.

Le cheval du roi repartit, bondissant sur les plages puis au travers des prés et des collines, galopa toute la nuit. Gradlon arriva enfin entre sept collines, là ou deux rivières se rejoignent. Il y batit sa nouvelle capitale, Kemper (confluent en Breton). Il y vécut le restant de ses jours. A sa mort, on sculpta sa statue dans du granit. Cette statue est aujourd'hui élevée entre les deux tours de la cathédrale Saint-Corentin à Quimper. Elle représente le Roi Gradlon, à cheval, regardant en direction de la cité disparue.

Les cloches de la cité sonnent encore...

Dans la mythologie celtique , Yann Brekilien nous affirme que "La submersion de la ville par un raz de marée, au Vème Siècle, a toutes les chances de ne pas être une légende, mais un fait historique dont le peuple a gardé un souvenir horrifié. Lors de certaines grandes marées, il est arrivée que la mer, au fond de la baie de Douarnenez, découvre des vestiges de construction et, sur la grève de Trezmalaouen, voisine du Ris, une forêt de chênes et d’ifs couchés, les racines vers le large, les branches vers la terre ferme. De plus, bon nombre de chaussées romaines convergent vers le fond de la baie de Douarnenez et s’enfoncent sous les eaux."

Keris, de la légende à l'image de synthèse. Reconstitution de la Ville d'Is.
Laurent Lescop, architecte, docteur en sciences.
http://keris.ifrance.com/keris/

Nous avons pu constater nous même que sur la grève du Ris, à 2,5 km à l’est de Douarnenez, on peut voir aux grandes marées, un fragment de mur en brique romaine enfoncé dans le sable... D’ailleurs, l’enfoncement progressif, sous les flots, de la côte armoricaine est bien connu des géographes.

Ainsi, la merveilleuse cité d’Is bien qu’engloutie, ne semble pas totalement détruite. On raconte que les pêcheurs de Douarnenez, quand la mer est calme, ont bien des fois entendu sonner les cloches.

Dahut

Certains racontent que Dahut, après sa mort, devint une sirène et qu'elle apparaît aux pêcheurs les soirs de lune, peignant sa longue chevelure d'or. Ils disent aussi que par temps très calme on peut entendre sonner les cloches de la cité disparue.

 

As-tu vu, pêcheur, la fille de la mer,
Peignant ses cheveux blonds dorés
Au grand soleil sur le bord de l'eau ?
J'ai vu la blanche fille de la mer,
Je l'ai même entendu chanter,
Plaintifs étaient l'air et la chanson.
Gwelas-te morverc'h, pesketour
O kriban en bleo melen aour
Dre an heol splann, e ribl an dour ?
Gwelous a ris ar morverc'h venn,
M'he c'hlevis o kanann zoken
Klemvanus tonn ha kanaouenn.

Paris engloutie ?

La légende rapporte que la ville d'Is s'élevait dans la baie de Douarnenez. Le lieu-dit Pouldavid, quelques kilomètres à l'est de la ville de Douarnenez, est la forme francisée de "Poul Dahut", le "trou de Dahut" en breton, et indique l'endroit ou la Princesse fut engloutie par les flots.
Is était la plus belle des capitales. Aussi, après sa disparition, Lutèce à vu son nom changé en Par Is qui signifie en Breton "pareille à Is". D'ailleurs, une vieille Gwerz bretonne semble bien vouloir affirmer qu'un jour, la capitale armoricaine resurgira des eaux et retrouvera sa splendeur au détriment des Parisiens. Deux proverbes populaires bretons en témoignent :

 
Abaoue ma beuzet Ker Is
N'eus kavet den par da Baris

Depuis que fut noyée la ville d'Is
on n'en a point trouvé d'égale à Paris

Pa vo beuzet Paris
Ec'h adsavo Ker Is

Quand Paris sera englouti
Resurgira la ville d'Is

Qu'est ce qu'un Korrigan ?

Petits, ridés, malingres, mais d'une force prodigieuse, les Korrigans sont des êtres féériques qui hantent les côtes bretonnes, dansent la nuit autour des menhirs et jouent des tours aux pauvres humains qui tentent de les approcher. Ils sont présents dans la légende d'Is car, Dahut, qui possédait de sa mère le secret des anciens dieux, les a contacté et sollicité pour la construction des portes de la cité. Ainsi, ce sont les korrigans qui ont élaborés le mécanisme des écluses.

Pour en savoir plus:

Charles GUYOT - La Légende de la ville d'Is d'après les textes anciens - ed COOP BREIZH
Gwenc'Hlan le Scouëzec - Le Guide de la Bretagne - ed COOP BREIZH
Yann Brekilien - La mythologie celtique - ed Jean Picollec, 1981

 
La complainte de la ville d'Is

Qu'y a-t-il de nouveau dans la ville d'Is,
Puisque la jeunesse est aussi folle.
Puisque j'entends ainsi les biniou,
Les bombardes et les harpes.

 
Gwerz Kêr Is

Petra 'zo nevez e kêr Is
Maz eo ken foll ar yaouankis,
Mar glevan me ar binioù,
Ar Vrombard hag an telennoù.

   
Il n'y a rien de nouveau dans la ville d'Is,
Seulement les ébats de tous les jours,
Dans la ville d'Is il n'y a que des vieilles choses,
Et des ébats de toutes les nuits.
E Kêr Is n'eus netra nevez,
Met an ebatoù 'vez bemdeiz,
E Kêr Is n'eus nemet traou gozh,
Hag an ebatoù 'vez beb noz.
   
Des bosquets de ronce ont poussé,
Dans les portes des églises fermées,
Et sur les pauvres pleurant,
On excite les chiens à les mordre.
Bodennoù drez 'zo diwanet,
E dor an ilizoù serret,
Ha war ar baourien o ouelañ,
E hiser ar chas d'o drailhañ.
   
Ahès la fille du Roi Gradlon,
Le feu de l'enfer en son coeur,
A la tête de la débauche,
Mène à sa suite la ville à sa perte.
Ahes merc'h ar Roue Gralon,
Tan an ifern en he c'halon,
Ar penn kentañ deus an diroll,
A gas ar gêr d'he heul da goll.
   
Saint Gwenolé, avec peine de coeur,
Est venu trouver son père bien souvent,
Et avec pitié, l'homme de Dieu,
A dit au Roi :
Sant Gwenole gant kalonad,
'Zo bet meur a wech kaout he zad,
Ha gant druez an den doue,
A n'eus lavaret d'ar Roue :
   
"Gradlon, Gradlon, prêtez attention,
Aux désordres que mène Ahès,
Car le temps sera passé,
Quand Dieu jettera sa colère".
"Gralon, Gralon, lakaet evez,
D'an disurjoù a ren Ahez,
Rak tremenet 'vo an amzer,
Pa skwilho doue e gonner".
   
Et le Roi sage, courroucé,
Sa fille a conseillé,
Mais affaibli par la vieillesse,
N'a plus la force de la combattre.
Hag ar Roue fur spouronet,
D'e verc'h en deus bet kelennet;
Met diskaret gant ar gozhni,
N'eus mui an nerzh da stourm outi.
   
Fatiguée des reproches de son père,
Et pour quitter son regard,
A construit avec l'aide des mauvais esprits,
Un beau palais près des écluses.
Ha skuizh gant rebechoù he zad,
Evit mont deus e zaoulagad
En deus graet gant drouksperejoù,
Ur pales kaer tost d'ar sklujoù.
   
Là, avec ses amoureux,
Il y a le soir des aubades,
Là, dans l'or et les perles,
Comme le soleil, Ahès rayonne.
Eno, gant heh amouroujen,
Ema fenoz an abadenn,
Eno, en aour hag en perlez,
Evel an heol a bar Ahez.